L'abeille, la plante et l'araignée

C'est connu, dans un écosystème, chaque espèce animale ou végétale entretient des relations interspécifiques plus ou moins étroites avec une ou plusieurs autre(s) espèce(s). Dans certains cas, on assiste par exemple à des relations de mutualisme (c'est-à-dire que les deux espèces tirent profit de cette relation) et dans d'autres cas, on est confrontés des relations proie/prédateurs. Et c'est un exemple illustrant la prédation que je vais développer : la lutte perpétuelle entre les insectes pollinisateurs de fleurs (les abeilles entre autres) et les araignées-crabes.
Ces arachnides, appartenant à la famille des Thomisidés, se perchent au sommet des fleurs et guettent l'arrivée d'un insecte pollinisateur venant prélever du nectar, passant ainsi à l'attaque. 
Pour ne pas se faire repérer, certaines espèces d'araignées-crabes ont une surprenante capacité de camouflage. On appelle cela le mimétisme. La couleur du thorax et de l'abdomen se fond dans les teintes de la fleur.   
Quand l'araignée a réussi à choper l'abeille (par exemple), elle aspire tout le liquide extracellulaire, pour délaisser au final un pauvre cadavre sec...

Araignée-crabe Napoléon (Synema globosum), la forme du chapeau de Napoléon Bonaparte se dessine sur son abdomen

Venons-en au cœur du problème. L'abeille rend service à la plante en dispersant ses grains de pollen sur une autre fleur de la même espèce. La plante offre en récompense du nectar à l'insecte. Et l'araignée loge sur la fleur et se nourrit de l'abeille. Voilà un bel exemple de chaîne trophique ! 
On pourrait se dire que les milieux dans lesquels abondent un grand nombre de Thomises seraient moins fréquentés par les abeilles, les plantes seraient donc moins pollinisées, et n'assurerait pas une bonne descendance et leur valeur sélective diminuerait. Tandis que les milieux abritant un nombre plus faible d'araignées-crabes seront davantage côtoyés parles insectes pollinisateurs, les fleurs auraient donc une bien meilleure "fitness". 

Araignée-crabe Napoléon (Synema globosum) à l'affût. On aperçoit bien les deux paires de pattes antérieures plus allongées que les autres lui donnant une allure de crabe
Une étude scientifique a été élaborée dans les années 2000 afin de savoir si la présence de ces araignées-crabes exerçait des effets négatifs sur l'action des pollinisateurs et leur nombre. Les chercheurs ont constaté un résultat qui paraît logique : là où il y a beaucoup d'araignées, il y a moins d'abeilles et vice versa. 
La question qui en découle est : POURQUOI ? Est-ce à cause de la prédation tout simplement ou bien du fait du changement de comportement des abeilles qui contournent le problème ? 
Déjà, la probabilité de succès des attaques de ces arachnides s’avérerait assez faible : seulement 20% des tentatives sont couronnées d'un succès, environ. Première hypothèse à rejeter ! 
En fait, ce sont les abeilles qui prennent connaissance des milieux colonisés le plus par les Thomises. Les insectes pollinisateurs seraient prêts à négliger les fleurs les plus nectarifères, c'est-à-dire celles logeant le plus d'araignées-crabes. Elles auraient tendance à se diriger en direction des fleurs les moins "succulentes", donc fréquentées par moins de prédateurs.

Mais alors, les fleurs au nectar le plus sucré disparaîtraient peu à peu d'un écosystème si ses gènes ne se propageaient pas dans la nature. Ce n'est pas le cas. D'un point de vue évolutif, certaines populations d'abeilles sont plus intrépides que d'autres et ont donc le "goût" du risque. Elles fréquentent les fleurs les plus nectarifères, qui sont des endroits dangereux mais qui ont néanmoins un rendement énergétique plus important. Ces réserves glucidiques permettent ainsi à la colonie de se reproduire plus "efficacement" et de progresser plus rapidement dans les travaux collectifs de la ruche.
Cette araignée-crabe est en train de dévorer une abeille domestique
Si on récapitule, se ruer sur des fleurs plus succulentes présente plus de dangers mais engendre un bon profit énergétique, même si le taux de mortalité risque d'être important. En revanche, les insectes fréquentant des fleurs moins succulentes ont certes des chances de survie plus élevées mais en tirent un faible rendement énergétique ayant des répercussions sur la vie collective de la ruche.
De plus, on sait que les abeilles sont des animaux sociaux. Elles travaillent pour la survie de leur colonie et non pas par pur individualisme. Alors, perdre une petite poignée d'individus à la recherche d'un succulent nectar n'entraîne pas la destruction complète de la colonie. Au contraire, il vaut mieux sacrifier quelques camarades et prélever un breuvage bien énergétique afin de produire plus de descendants "courageux".
Cependant, face à des abeilles davantage hardies, les araignées subiraient également des modifications comportementales, à long terme et développeraient des attaques plus concises. On parle alors de course aux armements. Mais je ne vais pas entrer dans les détails.




Cet effet de prédation exercerait alors une influence sur les relations interspécifiques entre le végétal et son insecte pollinisateur. Les plantes habitées par les araignées-crabes subiraient alors une diminution de leur valeur sélective. On appelle ce phénomène : cascade trophique descendante. La présence d'un Thomisidé sur une fleur aurait ainsi un impact écologique important sur cet écosystème. 

Une autre espèce de Thomise Napoléon, en rouge-orangé

Voilà, j'espère que cet article biologie-naturalisme ainsi que les photos vous ont plus ! Merci à tous de l'avoir lu :)


Commentaires

  1. De très bonnes explications et de très belles photos.l'intelligence de la faune et de la flore permettra peut être un jour d'éliminer la notion d'extinction d'espèce... pap's

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