Mission laboratoire - CNRS#3

Dans les jours suivant une expédition sur le terrain, il est temps de rentrer au bercail : le laboratoire ! Le traitement des données et/ou des échantillons récoltés constitue une tâche incontournable dans l'avancée du projet. 
Dans notre cas, nous sommes rentrés des Pyrénées Orientales où nous avions travaillé sur une population d'Anacamptis coriophora, si vous vous en souvenez bien. A partir de là, plusieurs activités s'offraient à nous.
En premier lieu, nous avons traité des données récoltées pendant les sessions de terrain précédentes dans les régions corse et varoise (où nous n'étions pas encore là). 

D'abord, nous avons analysé la viabilité de graines issues de fécondations manuelles entre deux espèces d'Orchidée : Serapias lingua et Serapias cordigera
La première espèce, communément appelée Serapias à languettes, porte des fleurs rouge clair et des feuilles lancéolées (c'est-à-dire en forme de fer de lance,  le côté pétiole est plus large que l'apex). En France, on la trouve principalement du Sud-Ouest jusqu'au Puy-de-Dôme, en Corse et en Provence. Sa période de floraison s'étend d'Avril à Juillet selon les périodes d'ensoleillement et l'altitude du milieu qu'elle côtoie. Ensuite, Serapias cordigera, autrement appelée la Serapias en cœur, possède aussi des feuilles lancéolées ainsi que des fleurs mauves, dont le labelle est cordiforme (c'est-à-dire en forme de cœur). Elle fréquente, de même que S. lingua, les prairies humides et les bois, dans le Sud-Ouest, en Provence, en Corse et même jusqu'au Finistère ! Cette espèce fleurit d'Avril à Juin.  
Nous avons donc soigneusement ouvert en deux plusieurs fruits issus de croisements, pour chaque échantillon. Nous déposions alors les graines libres sur une boîte de pétri. Nous les observions à l'aide d'une loupe binoculaire. Celle-ci était reliée à un appareil photo connecté à l'ordinateur. Nous prenions alors des clichés afin d'analyser les graines plus facilement sur le logiciel Mesurim. Nous avons donc regroupé et compté les graines qui nous semblaient viables (avec la présence d'un net embryon), non viables et celles que nous parvenions pas à bien identifier. A noter que les graines observées étaient issues de différents types de croisement manuel : inter-spécifique (c'est-à-dire un croisement entre deux individus appartenant à une espèce différente) et intra-spécifique (c'est-à-dire un croisement entre deux individus appartenant à la même espèce). Comme Nina l'explique, on étudie les phénotypes et les génotypes des espèces parentales et des hybrides afin de mieux comprendre l'importance relative des barrières pré et post-zygotiques* dans l'isolement reproducteur de ces espèces. 

Serapias lingua

Serapias cordigera

Egalement, lors des premiers jours, nous nous sommes amusés à extraire de l'ADN de plante et  à amplifier la séquence, via la technique PCR : "Polymerase Chain Reaction". Elle permet d'obtenir à partir d'un échantillon d'importantes quantités d'un fragment d'ADN spécifique et de longueur définie, pour ensuite faire un séquençage. En amont, nous avons broyé sadiquement des feuilles d'espèces d'Orchidées différentes afin d'en extraire l'ADN. On les mélanges à plusieurs enzymes et réactifs PCR. Puis l'analyse PCR a été lancée. Cette expérience aurait pour but de réaliser un arbre phylogénétique de ces espèces et de mieux comprendre les liens de parenté qui les unissent.

Dans un deuxième temps, nous avons aussi traité les données récoltées pendant les sessions de terrain que nous avons effectuées, dans les Pyrénées justement.
Déjà, nous avons analysé les photos de labelles d'Anacamptis coriophora (cf article CNRS#2).  Sur le logiciel ImageJ, nous avons découpé le contour du labelle. Pour analyser exclusivement sa couleur, nous avons étudié la nuance de chaque pixel de l'image. Cette opération a été répétée pour les photos prises avec le filtre "visible" et le filtre "UV", comme dit dans l'article précédent.
Ensuite, c'est la partie traditionnelle des statistiques qui est entrée en jeu. Pour faire simple, nous avons d'abord transféré l'ensemble des pixels composant l'image du labelle sous forme d'un tableur. En fait, chaque nuance de pixel correspondait à une valeur numérique. Nous avons donc calculé la moyenne des valeurs, prises avec le filtre "visible rouge", puis "vert", puis "bleu" et enfin le filtre "UV". Nous avons aussi réalisé les écarts-type. Puis, comme pour toute analyse statistique, nous avons tracé des histogrammes, et réalisé une série de tests statistiques comme l'ANOVA, permettant de comparer des valeurs qualitatives et quantitatives. Au préalable de ce test, nous avons effectué des tests de normalité des données (test de Shapiro,...) et nous avons vérifié l'homoscédasticité (mot barbare signifiant "égalité des variances") entre les échantillons via le test de Bartlett

De plus, nous avons côtoyé, durant ce mois, une plateforme d'analyses en écologie chimique. C'est là que nous préparions les chromatoProbes. Et c'est aussi ici que nous analysions les odeurs d'orchidées capturées... En fait, c'est plutôt un boulot partagé entre l'Homme et le prolongement de son bras : la machine. Pour séparer et tenter d'identifier les molécules constituant les parfums de fleur, nous avons utilisé la méthode de la chromatographie en phase gazeuse couplée à la spectrophotométrie de masse (en anglais, GC-MS). Cette double technique, si on peut dire, permet alors de séparer les différents composés d'un échantillon contenus dans le chromatoProbe, et de les identifier en fonction de leur rapport masse sur charge. Ainsi, nous obtenons des chromatogrammes : des sortes de graphiques sur lesquels se tracent des pics correspondant chacun à un composé chimique.

Voici un appareil GC-MS

On voit ici une grosse bouteille d'azote qui permet de balayer en continu la colonne. Les différentes composantes de l'échantillon se séparent ainsi en fonction de leur affinité avec la phase stationnaire. A la sortie de la colonne, les composantes sont détectées par le spectromètre de masse, relié au chromatogramme. 

On aperçoit ici dans chaque tube en verre un chromatoProbe, servant à piéger les parfums des fleurs

Voilà à quoi ressemblent les petites activités effectuées en laboratoire. C'est ainsi que se termine cette série spéciale CNRS. On espère que les différentes facettes que l'on vous a présentées vous ont plu. De notre côté, nous avons pris beaucoup de plaisir à effectuer ce stage. Il nous a permis de nous donner une idée, certes une petite, concernant la recherche. On a vraiment adoré l'ambiance au sein du CEFE. C'est vraiment drôle d'entendre depuis notre bureau les flux de connaissances qui virevoltent entre pièces dans le couloir "Interactions biotiques et bioculturelles".
On espère que ces articles vous ont intéressés ! N'hésitez pas à lire les deux précédents si ça n'a pas été fait (les liens sont ci-dessous) ! Nous tenons à remercier Nina ainsi que toute son équipe pour ce stage qui nous a apporté beaucoup !
Merci et à bientôt sur l'Odyssée Terrestre ! :)

>L'art de la duperie sexuelle - CNRS#1
>Les sessions de terrain - CNRS#2

*Lexique :
- barrière pré-zygotique : l'isolation reproductive des espèces interdit l'accouplement ou la fécondation  (isolements éthologique, gamétique, temporel,...).
- barrière post-zygotique : empêche le développement d'adultes viables et féconds, soit par conception d'hybrides non viables ou par la stérilité de ces hybrides.

Sources photos des Orchidées :
-http://www.florealpes.com/fiche_serapiascordigera.php
-http://quelle-est-cette-fleur.com/Fiches-botaniques/Fiche-espece-serapias-lingua.php

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