Comment fait-on le sel de table ? - Vendée#2

Savez-vous comment le sel de cuisine passe-t-il depuis la mer jusqu’à votre assiette ? Une simple question derrière laquelle se cachent de multiples gestes, des gestes traditionnels depuis l’Antiquité. Le sel de mer, ou encore le chlorure de sodium, est l’un des minéraux le plus abondant sur Terre : dans les océans, les mers, les lacs… Autrefois, la récolte de « l’or blanc » fut un véritable atout économique sur les littoraux français atlantique et méditerranéen, entre autres. C’est d’ailleurs à Saint-Hilaire de Riez, sur la côte vendéenne, que j’ai décidé de me rendre afin de vous expliquer cette fascinante production de sel de table.
Avant d’entrer concrètement dans le vif du sujet, analysons le contexte historique. La fabrication de sel sur le littoral atlantique, s’est développée de façon exponentielle depuis l’Antiquité, jusqu’aux années 1850. En effet, la révolution industrielle a entrainé un déclin progressif des salines du littoral. Pour causes, une mécanisation de la production au niveau des régions concurrentes (en Méditerranée) et une diminution de la demande de sel due aux nouvelles techniques de conservation par le froid (car avant, certains aliments comme la viande étaient conservés grâce au sel). Heureusement, depuis quelques décennies, d’anciens sites de récolte de l’or blanc sont réhabilités et exploités, pour les biens de l’économie et du tourisme, comme le site de Saint-Hilaire de Riez : les Marais Salants de la Vie.
Vous le savez, sans doute, la récolte du sel est permise par des phases progressives d’évaporation de l’eau de mer, dans ce cas, celle de l’Océan Atlantique.         
Avant de détailler chacune des étapes jusqu’à la récolte, je tiens à préciser que les termes techniques employés sont spécifiques au patois de la région, ces éléments peuvent être nommés alors autrement selon les zones de fabrication du sel.
Ainsi, lors des périodes à fort coefficient de marée (périodiquement toutes les deux semaines environ), le saunier1 laisse entrer l’eau de mer dans un canal, l’éthier, puis jusque dans le premier bassin de stockage que l’on appelle vasais. Son nom provient du fait que l’eau stockée stagne pendant quelques jours, déposant donc les alluvions et autres particules en suspension, notamment la vase !



On voit ici le vasais, visiblement bien envahi par la vase !

Ensuite, l’eau est transférée dans un autre bassin, le champ-mort, par le biais des coëfs2, dans lequel elle se réchauffe progressivement. C’est ici que l’eau entame sa première véritable phase d’évaporation. La concentration en sel dans l’eau sera donc plus importante qu’au moment de son arrivée dans le premier bassin. On passe ainsi d’un taux de sel dans l’Océan de 30 g/L d’eau environ à 100 g/L d’eau ! Le développement des êtres vivants aquatiques3 est davantage compliqué, d’où l’appellation du bassin : champ-mort.


A droite, le long canal représente l'éthier. A gauche, débordant sur la photo, le champ-mort.

Contrôle de l'ouverture du coëf en bois

Ensuite, l’eau de mer reposée et chauffée poursuit son circuit dans les bassins d’exploitation : l’aire saunante. Vient alors l’action conjuguée du soleil et du vent. Les éléments naturels permettent alors l’évaporation de l’eau de mer et la cristallisation du sel. Les grains de sel apparaissent donc dans le dernier bassin, très réduit : l’œillet. Dans ces petits bassins, la quantité de sel atteint alors 330 g/L d’eau ! Il ne reste plus qu’à récolter l’or blanc ! 


Ici, le centre du marais : les œillets constituent les derniers bassins dans lesquels le sel est récolté ! 

Autrefois, seul le 
gros sel4 était récolté. De nos jours, la fleur de sel5 vient s’y ajouter. Sur le site de Saint-Hilaire de Riez, les sauniers récoltent premièrement le sel dans des paniers fabriqués en bois de châtaignier, réputé (paraît-il) pour sa rigidité ! Puis, une fois chargé, ils déversent l’entièreté du contenu sur une zone en commun, formant alors un gros tas de sel. Un travail très physique ! Finalement, l’ensemble du sel est stocké dans des sortes de grandes cabanes : les salorges.  


Panier tressé en bois de châtaignier.
   
Au total, plusieurs tonnes de sel par an sont récoltées sur le site de Saint-Hilaire de Riez. Plus largement, la récolte de l’or blanc fait vivre 600 producteurs sur la côte atlantique française. Un métier qui revient à la mode, la moyenne d’âge serait même de 33 ans ! Un diplôme est remis aux apprentis sauniers. Cependant, la vie n’est pas toujours rose (enfin blanche, enfin bref). Vous l’avez compris, le métier de paludier est intimement lié aux actions de la météorologie et aux saisons. Chaque élément naturel joue un rôle important. Le soleil permet l’évaporation de l’eau de mer et mène à la cristallisation du sel. Le vent, lui, assure une ventilation importante. Ce sont les vents d’Est, c’est-à-dire ceux venant des terres, qui optimisent la formation du sel, dus à un caractère asséchant en période de salange. Et, bien sûr, l’eau est l’élément le plus important !
En revanche, d’autres phénomènes naturels entraînent un ralentissement de la cristallisation du sel. On peut citer la pluviosité qui abaisse le taux de salinité, agissant comme une dilution ! Plusieurs orages durant la période estivale peuvent anéantir la récolte d’une saison ! L’hygrométrie de l’air va de pair dans le ralentissement du processus.            
De plus, les vents d’Ouest, c’est-à-dire ceux provenant de l’océan, sont chargés en humidité, ce qui rend aussi la cristallisation lente.

    
Les conditions climatiques et les saisons rythment donc le travail des sauniers. Cependant, tenir un site de production de sel ne signifie pas qu’il faut simplement gérer le passage de l’eau par les coëfs de bassin en bassin et attendre qu’elle s’évapore. Loin de ça ! La saison commence surtout au mois de Mars. Le paludier doit vider le marais, le nettoyer et le restaurer. Si besoin, il faut recreuser le champ-mort et le vasais, structurer les petits bassins et les chemins, aménager l’éthier, façonner les coëfs… A la fin de la saison, dans le courant d’Octobre, il doit « noyer » le marais salant afin de protéger l’architecture argileuse des intempéries.
Egalement, les marais sont soumis à des réglementations strictes comme, par exemple, favoriser le passage des animaux d’un lieu à un autre. En effet, les marais de Saint-Hilaire de Riez sont protégés par la loi littoral et font partie de l’organisme Natura 2000. Le site est habité par de nombreuses espèces animales (notamment une riche faune ornithologique) et végétales.


Quelques pieds de salicorne

Depuis le VIIème siècle, l’Homme aménage les marais salés pour les transformer en marais salants, avec l’aide de son bras droit : le climat. Mais, pour continuer à bénéficier des bienfaits de la nature (en l’occurrence le sel) et à faire perdurer les gestes traditionnels, il faut préserver ces milieux fragiles, sensibiliser la population. Et, si je puis dire, profiter de l’absence de taxe sur la production, le commerce et la consommation de sel qui existait auparavant : la tant détestée gabelle6 ! 


Pyramide de sel

Voilà, j’espère que ce second article sur la Vendée vous a plu. J’avais envie de présenter une des facettes du littoral vendéen. Je trouvais très intéressant l’idée de savoir comment le sel, au début parsemé dans l’Océan, parvenait-il dans nos assiettes. Le sel de Vendée se retrouve dans de nombreux aliments tel que le caramel au beurre salé.   
Je vous remercie de l’avoir lu ! A bientôt sur l’Odyssée Terrestre !

Lexique :


1 : métier d’une personne produisant du sel. Le saunier peut aussi être appelé paludier.  
: petit passage en bois (voir la photo).        
3 : D’ailleurs, les plantes adaptées au milieu riche en sel sont appelées « halophytes », par exemple : la salicorne (que l’on peut consommer en salade), la lavande de mer…
Quelques espèces animales résistent aussi face à cette contrainte environnementale comme certaines crevettes du genre Artemis.  
: il est obtenu quand 90% de l’eau s’est évaporée.
: sel de cristallisation rapide qui n’apparaît qu’après des conditions météorologiques favorables. En fait, le gros sel et la fleur de sel se forment dans la même eau mais leurs techniques de récolte, le prix de vente et leurs usages les différencient.          
: ancien impôt sur le sel, au Moyen-Age.
 

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