L'Agrion de Mercure (Coenagrion mercuriale)

Au bord des cours d'eau, des étangs ou des lacs, elles ne passent pas inaperçues. Prédatrices, vives, colorées, elles volent sans relâche pour chasser et surveiller leurs territoires. Je parle évidemment des libellules ! Enfin, en France, le terme "libellule" est légèrement ambigu. Parlons plutôt des Odonates, un ordre regroupant deux sous-ordres : les Anisoptères (ou libellules) et les Zygoptères (ou demoiselles). On reconnaît les libellules par la position horizontale de leurs ailes membraneuses au repos. En revanche, les demoiselles, plus grêles, possèdent les ailes, généralement, repliées au repos. 

Aujourd'hui, je vous présente une des nombreuses espèces de Demoiselles de couleur bleue : l'Agrion de Mercure (Coenagrion mercuriale). A première vue, il paraît très semblable aux autres espèces telles que l'Agrion mignon ou l'Agrion bleuissant et bien d'autres encore ! Cependant, mon but ici n'est pas de toutes les comparer, de peur que cela vous mélange les pinceaux mais plutôt de bien reconnaître notre cher et tendre Agrion de Mercure !

Agrion de Mercure (Coenagrion mercuriale) mâle


Pour bien le visualiser, je pense qu'il soit nécessaire que l'animal soit posé et immobile. Dans la limite du possible, tentez de le prendre en photo sous deux angles différents : une vue dorsale pour bien observer son long et fin abdomen et un second angle, cette fois, de profil pour bien observer, encore une fois l'abdomen, ainsi que son thorax. Et donc, s'il y a l'ombre d'un doute, vous pouvez "zoomer" sur la (ou les) photo(s) et vous rendre compte des détails bien spécifiques à la reconnaissance de cette espèce. C'est parti !


  • Comment reconnaît-on Coenagrion mercuriale ?  

Premièrement, assurez-vous que votre agrion bleu possède, en vue latérale, sur son thorax, un petit trait noir dans la zone centrale, comme le montre la photo ci-dessous. Ensuite, observez le second segment composant son abdomen, et remarquez qu'il est orné d'un motif évoquant le Dieu Mercure portant un casque à cornes, d'où le nom de l'espèce. Après cela, vous pourriez penser que la présence du motif "Viking" suffise à la détermination de l'espèce. Eh bien non ! Les dessins sur l'abdomen, d'un individu à l'autre, peuvent varier ! Nous devons donc baser notre identification sur d'autres critères plus pertinents comme les deux suivants. Voyez que le 8e segment est bleu et est suivi du 9e segment à moitié bleue et à moitié noire. De plus, si l'exercice des taches abdominales vous semble trop compliqué, fiez-vous à l'extrémité de l'abdomen de l'animal qui doit comporter, normalement, des protubérances anales à 4 pointes, que l'on appelle des cerques !
Quant à la femelle, elle est noire avec quelques reflets verts sur la tête et le thorax.


Les chiffres en rouge indiquent le numéro du segment. Par exemple, le segment 2 présente nettement le motif "casque de Viking".

  • Où trouve-t-on l'Agrion de Mercure ?  
Evidemment, si vous comptez la voir, il faut vous rendre dans une zone humide. Plus précisément, cette Demoiselle affectionne les milieux aux eaux oxygénées et faiblement courantes comme les ruisseaux, les ruisselets ou les fossés, jusqu'à 1 600 m d'altitude. Inutile de tenter de la photographier par temps de pluie, elle sort le bout de ses ailes lorsque le coin est ensoleillé. Vous pourrez l'observer probablement en train de chauffer son corps au soleil, posée sur un rocher ou une feuille. 

Concernant son aire de répartition, l'Agrion de Mercure est présent en Europe de l'Ouest et en Afrique du Nord. 
En France (et même en Europe), les populations sont plus denses dans les régions du sud, sûrement dû à l'ensoleillement plus important. En effet, Coenagrion mercuriale est très présent dans les régions s'étendant de la péninsule ibérique jusqu'à l'Italie, en passant par le Roussillon, le Languedoc et la Provence. Dans le Nord de l'Hexagone, les populations sont très localisées, en régression, voire absentes à l'extrême Nord du pays. En Belgique, en Allemagne ou en Suisse, l'espèce est peu fréquente aussi. 

  • Quel est son cycle de vie ? Sa biologie ? 
Les premiers insectes adultes, autrement appelés imagos, surviennent lors du mois d'Avril, quand la température extérieure est suffisamment douce pour déclencher leur émergence. Dans les régions situées plus au Nord, les Demoiselles adultes entrent en jeu plutôt lors du mois de Mai. Vient alors la période de maturation sexuelle des adultes, dans des zones assez éloignées des cours d'eau. Le mâle acquiert ainsi sa couleur définitive (bleu ciel et noir). Quelques jours passés, les imagos se rapprochent des zones humides où ont lieu les accouplements. Les mâles, contrairement à leurs semblables Anisoptères, ne sont pas territoriaux. En revanche, en ces temps de dévergondage, ils n'hésitent pas à se positionner en-haut d'une tige et guetter les femelles qui s'aventureraient sur "leurs" chemin. Ainsi, la copulation débute par la formation de tandems, le mâle maintenant la femelle bien immobile entre ses cerques, situés à l'extrémité de l'abdomen.

Accouplement en tandem : le mâle (en-haut) maintient la femelle (en-bas) entre ses cerques.

Une fois la semence de Monsieur injectée dans les œufs de Madame, le couple part à la recherche d'un coin où les déposer, généralement dans les tissus d'une plante hydrophyte*. A noter que la façon de pondre est assez drôle à voir, la femelle pouvant passer complètement en-dessous de la surface de l'eau, le mâle l'abandonnant lâchement...
Quatre semaines plus tard, les œufs éclosent, donnant naissance à des larves. Elles se développent alors durant deux années, les contraignant à hiberner pendant deux hivers ! Carnassières, elles se nourrissent de divers éléments tels que des zooplanctons, des micro-invertébrés, des larves d'autres insectes etc... Les larves se métamorphoseront alors en beaux imagos !

Ici, la larve d'un agrion jouvencelle (Coenagrion puella), très ressemblante à celle de l'agrion de Mercure.

  • Est-ce que l'Agrion de Mercure a un statut de protection ? 
Ce petit agrion figure, depuis 2006, parmi la liste rouge mondiale de l'UICN (Union Internationale pour la Conservation de la Nature), depuis 2010 en Europe et depuis 2016 en France métropolitaine. Autant dire que Coenagrion mercuriale est une espèce à enjeu national et mondial, très vulnérable face aux activités humaines. De nombreux facteurs anthropiques sont à l'origine de la diminution des effectifs comme la perte et la destruction de son habitat. En effet, le pompage de l'eau menant à l'assèchement des cours d'eau, le boisement volontaire des ripisylves*, l'intensification des techniques agricoles liées à l'utilisation des pesticides, la pollution des eaux, le drainage massif et volontaire des cours d'eau sont les principales causes de la fragmentation des milieux qu'elle côtoie. Protégeons-les !

Voilà, j'espère que cet article vous a plu ! Merci et à bientôt sur l'Odyssée Terrestre ! 


Lexique :
- plante hydrophyte : plante vivant partiellement ou complètement immergée sous l'eau. 
- ripisylve : bord des cours d'eau. 

Sources :
- DOMMANGET J.L. 1999 – Etudes scientifiques fondamentales et appliquées sur les libellules. Société Française d’Odonatologie. 
-  THOMPSON, D.J., PURSE, B.V. & ROQUETTE, J.R. (2003). Ecology of the Southern Damselfly, Cœnagrion mercuriale. Conserving Natura 2000 Rivers Monitoring Series No. 8, English Nature, Peterborough.
- HENTZ J-L, DELIRY C. & BERNIER C. (2011). Libellules de France, guide photographique des imagos de France métropolitaine. Gard Nature/GRPLS, Beaucaire, 200 pp.
- photo larve d'agrion jouvencelle : doris.ffessm.fr/Especes/Coenagrion-puella-Agrion-jouvencelle-1671

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