Plus belle la bouse

Avez-vous déjà entamé une discussion sur le caca lors d'un repas de famille ? Si c'est le cas, vous êtes probablement passés, aux yeux de vos proches, pour un gros sale dégoûtant immonde malpropre individu, à qui on n'a plus adressé la parole jusqu'à la fin du festin (voire plus !).... Pourtant, il est évident et naturel que chacun des membres de votre famille assis à vos côtés autour de la table, assouvit ses besoins quotidiennement ! Si nous ne le faisions pas, nous serions vraiment dans la... enfin... nous ne pourrions pas survivre ! Alors, dans cet article de biologie, écartons tous les tabous et allons droit à l'essentiel dans le beau monde de la merde (c'est bon, je ne me prive pas de le dire) !

Dans des articles précédents, je vous avais expliqué brièvement le fonctionnement d'un écosystème, régi notamment par les interactions entre les êtres vivants eux-mêmes et avec leur environnement. A la base de la pyramide des réseaux alimentaires, se trouvent les plantes et les champignons qui sont alors appelés "producteurs primaires". Ils sont alors consommés par les phytophages (ou herbivores) que l'on appelle "consommateurs primaires" et qui occupent l'étage juste au-dessus de la pyramide. Ces mangeurs d'herbes sont eux-mêmes dévorés par les carnivores ou consommateurs secondaires. Cependant, dans la littérature scientifique classique... vraiment très classique, on ne nous relate pas ce que deviennent tous ces animaux et ces végétaux morts ! Il est vrai que nous croisons rarement un cadavre animal à tous les coins de forêts ! Pourtant, ces dépouilles ne disparaissent pas par magie comme l'argent dans ton porte-feuille ! En fait, la réelle base de la pyramide des réseaux trophiques n'est pas comblée par les plantes mais plutôt par des drôles d'êtres vivants, les décomposeurs de la matière organique. Ils permettent de recycler les feuilles mortes, les cadavres d'animaux et... même les déjections animales ! Les excréments attirent tout type d'êtres vivants ! Alors, dans cet article, je me concentre sur la décomposition des crottes, plus précisément sur une catégorie d'étrons bien particulière - la bouse (surtout celle de la vache) - et sur toutes les bébêtes qui la côtoient ! Nous nous occuperons des cadavres d'animaux dans un prochain article !

Pyramide des réseaux trophiques.
De bas en haut : décomposeurs / producteurs primaires (photosynthèse) / consommateurs primaires (herbivores) / consommateurs secondaires (carnivores)


La bouse est l'excrément des mammifères ruminants*, un groupe d'ongulés polygastriques (dont l'estomac est divisé en plusieurs parties fonctionnelles) et qui remastiquent les aliments avant leur digestion définitive. Quand la bouse est relarguée dans une prairie, elle devient alors un véritable mini-écosystème ! Avant d'analyser les petites bestioles qui aiment y grouiller, nous allons discuter de la formation et la composition de ces bouses.

Les ruminants se nourrissent, comme nous l'avons dit, de divers végétaux principalement. Mélangés à la salive, ils forment un bol alimentaire qui glisse dans l’œsophage jusque dans la panse (aussi appelé "rumen"). Puis, il subit une remontée vers la bouche, où il sera mastiqué et recouvert de salive de nouveau. La vache, par exemple, mastique entre 6 et 8 heures par jour, produisant ainsi près de 180 litres de salive ! Ces multiples "aller-retours", inscrits dans le processus de la rumination, permettent, entre-autres*, de mieux broyer et abîmer la matière végétale et, au final, de mieux la digérer. Dans la panse, les aliments sont "attaqués" par les millions de micro-organismes le composant. Ils entament une véritable fermentation qui conduit à la formation d'éléments volatiles directement absorbés par la paroi de la panse et qui seront utilisés comme source d'énergie par les organes de l'animal. Le reste des aliments sous-forme de bouillie passe dans le bonnet également parsemé de multiples bactéries, puis le feuillet ! C'est là que l'eau riche en sodium et en phosphore est absorbée et utilisée par l'animal. Ensuite, seules les petites particules de moins de 2 mm sont transmises dans le dernier compartiment : la caillette, où se réalise la "vraie" digestion".
En fait, la caillette est l'équivalent de l'estomac des animaux non ruminants (comme nous !). Beaucoup d'enzymes digestives y sont sécrétées et permettent de digérer la majorité des graisses et les protéines. Finalement, le reste passe dans l'intestin grêle où la phase d'absorption des nutriments continue, puis dans le gros intestin. Finalement, ce qui n'a pas été digéré ou utilisé est rejeté par l'anus ! De belles bouses sont libérées. Sachez qu'une vache peut produire plus de 10 tonnes de bouse chaque année, soit environ 40 kg d'excréments par jour ! C'est fou ! En analysant de plus près ces montagnes crémeuses, nous voyons qu'elles sont composées de 80 à 90% d'eau. Le reste, la matière sèche, est majoritairement composé d'éléments non digérés comme la lignine et la cellulose. Enfin, on y trouve des sucs digestifs et des micro-organismes qui vivaient dans la panse.



Et tous ces résidus font le bonheur de bon nombre d'êtres vivants ! D'après de très sérieuses études, suite à l'émission d'une bouse de vache, il faut attendre seulement 3,6 secondes en moyenne pour que les premiers insectes se dévoilent ! Toute l'eau accompagnée de la matière organique non digérée par la vache devient un lieu de rendez-vous incontournable pour toutes ces bébêtes qui vivent dans la prairie où cette offrande a été abandonnée. Ainsi, certains prendront plaisir à se nourrir du caca, d'autres à se reproduire et pondre leurs œufs ou alors quelques-uns aspirent à se protéger simplement.

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Premièrement, parlons de ceux qui se nourrissent ! Se nourrir de bouse étant l'activité principale dans une bouse... Les ribambelles d'insectes qui prennent plaisir à manger de la merde sont nommées les coprophages.  Les premiers à "abousir", ou à arriver sur place, si vous préférez, sont les mouches. Elles volent et détectent plus rapidement le parfum de la bouse. C'est le cas notamment de certaines "mouches à merde" qui côtoient nos contrées, comme la fameuse Scatophage du fumier (Scatophaga stercoraria).



Puis, parvient au festin tout un tas de scarabées bousiers comprenant de nombreuses espèces. Nous avons les piluliers qui utilisent leurs pattes antérieures et leurs puissantes mandibules pour former de petites boules de bouses qu'ils feront rouler jusque dans leurs terriers. Ces boulettes serviront de garde-manger pour les futures larves qui naîtront dans l'excrément. Il y a aussi les géotrupes, une autre famille de bousiers qui préfèrent directement creuser leurs terriers dans la bouse. Ainsi, le caca lui sert à la fois d'abri et de repas. Si ce n'est pas malin !




Cependant, les Coléoptères ne sont pas les seuls à se nourrir des bouses de vache, de multiples autres animaux viennent participer au festin : des papillons, des abeilles, des guêpes et même des escargots ! Le Zonite d'Algérie (ci-contre) fait partie de ces gastéropodes dégustant les excréments ! On lui a même filé le charmant surnom de "mange-merde" !


D'autres animaux se nourrissent d'autres êtres vivants présents sur la bouse fraîche. C'est le cas d'un scarabée à l'état adulte, plus précisément Sphaeridium scarabaeoides, qui dévore les œufs de mouches qui y sont pondus. D'ailleurs, c'est bien lui qui percent les petits trous qui ornementent une galette de bouse séchée, du fait de ses va-et-vient incessants à travers le monticule... Plusieurs gros animaux, comme les blaireaux, les hérissons, les taupes ou les oiseaux ne dédaignent pas se mettre un ou deux bousier sous la dent quand l'occasion se présente.

Sphaeridium scarabaeoides


Ensuite, nous retrouvons quelques animaux qui profitent de ces déjections pour se reproduire. L'amour est dans la bouse, c'est bien connu ! Quelques espèces de bousiers mâles fabriquent de belles boules de bouses bien cylindriques en guise de présents pour convaincre les femelles de s'accoupler avec eux.

En fait, vous l'aurez compris, la vie grouille dans une bouse, notamment dans la partie la plus profonde de celle-ci, en l'occurrence la plus riche en eau et donc recherchée par les larves. Ainsi, suite à l'action des animaux coprophages, une bouse serait dégradée en 12 mois seulement ! Sans cette communauté animale, il faudrait attendre jusqu'à 48 mois ! Mais les animaux ne sont pas les seuls organismes inscrits dans le processus de décomposition et de recyclage de la matière organique. Il existe des champignons du genre Psilocybe qui participe notamment à la décomposition des bouses. Les multiples trous effectués dans la crotte par les vers ou les coléoptères permettent de l'aérer et alors de favoriser l'action des micro-organismes aérobie (c'est-à-dire dont l'action nécessite la présence d'oxygène, donc de l'air) : champignons microscopiques, bactéries etc...

Finalement, l'enfouissement de la matière fécale par divers organismes (insectes, champignons, bactéries...) et par certains facteurs abiotiques (comme la pluie) permet d'enrichir les sols et de stimuler les populations de petits Arthropodes qui y vivent tels que les Collemboles ou les Acariens. La phase ultime de l'évolution de la bouse se fait sentir par la disparition progressive de la frontière écologique excrément/sol. En clair, tout se confond peu à peu jusqu'à ce que des organismes vivant dans les strates plus inférieures dans le sol participent à la décomposition et à la minéralisation des résidus de bouses, nous pouvons citer les Lombrics (les vers de terre), les Diplopodes (les mille-pattes) ou les Acariens. Toute la matière organique ingérée sera alors rejetée dans le sol, ces nutriments sont alors directement absorbés par les racines des plantes. Tout ce cycle, rapidement parcouru, participe au maintien des écosystèmes !

C'est un collembole



Cependant, la présence de coprophages décomposant les bouses ne confère pas une simple importance au fonctionnement d'un écosystème. En fait, ces coprophages représentent également un avantage économique. Pour vous en convaincre, je vous présente cette petite histoire. Au 18e siècle, de nombreux bovins ont été introduits par les colons en Australie. Or, qui dit "vaches" dit "quantité astronomique de bouses abandonnées dans les prairies australiennes". Seul problème - et malgré tout plus qu'important - les bousiers australiens et autres animaux coprophages ne participaient qu'au recyclage des étrons des marsupiaux ! Résultat, selon le Commonwealth Scientific and Industrial Research Organisation, du fait de l'absence de décomposeurs naturels, près de 450 millions de bouses se tassaient dans les prairies, étouffant alors les herbes et empêchant le renouvellement des prés de pâture. Les professionnels estimèrent que près d'un million d'hectares de prairies fut perdu chaque année. Sans surprise, l'économie du pays a été affectée. Ainsi, dans les années 1960, des scientifiques ont pris la décision d'introduire des espèces européennes de bousiers spécialisées dans la décomposition des bouses pour sauver les prairies australiennes ! Bref, les bousiers, c'est important !

Finalement, je souhaiterais terminer cet article sur un point agronomique. Il arrive que certains éleveurs utilisent des vermifuges anti-parasites afin d'immuniser leurs bovins. Certes, la santé du bovin est épargnée, mais pas la prairie ! En effet, ces substances chimiques, une fois relarguées en même temps que les bouses, sont souvent toxiques pour les organismes fréquentant les sols prairiaux. Par exemple, l'ivermectine (permettant de lutter contre la gale) peut troubler le cycle de vie de nombreux coléoptères coprophages, notamment causer une forte mortalité chez les larves. En plus de bouleverser la pédofaune (la faune du sol), l'utilisation de ces médicaments peut créer un déséquilibre à l'échelle de l'écosystème prairial, pourtant nécessaire à l'élevage des bovins. C'est la vache qui se mord la queue...

Voilà, j'espère vous avoir appris quelques éléments sur le fait qu'une simple bouse de vache - et même n'importe quelle autre déjection animale - est considérée comme un véritable petit écosystème. Les coprophages qui s'y rencontrent permettent de la décomposer et jouent un rôle important dans le recyclage de la matière organique. Mais pas seulement ! Ces décomposeurs apportent de nombreux bénéfices économiques aux gouvernements. Evidemment, je finis par vous dire que les excréments d'animaux sont une infime part parmi toute la matière organique recyclée par les décomposeurs autour du globe (entrent en jeu les cadavres, les feuilles mortes etc...). Ceci dit, l'exemple était parfait à présenter !

Merci et à bientôt sur l'Odyssée Terrestre !

Lexique :
- ruminants : se dit des animaux qui ruminent (jusque-là, je ne t'apprends rien !). Voici quelques exemples de ruminants : les bovins, les cervidés (cerfs et compagnie), les girafes etc...
- rumination*: elle remplit de nombreux rôles. Elle permet à l'animal de réduire le temps de mastication et de stocker l'herbe broutée dans la panse pour la mastiquer plus tard quand ça lui chante. Cela va de pair avec le fait que la rumination permette à l'animal de rester le moins de temps possible debout, donc vulnérable, dans une pairie en train de mastiquer. Eh oui, puisque pour ruminer, la vache se couche et devient alors moins visible par les prédateurs !

Sources :
- Safari dans la bouse et autres découvertes bucoliques, de Marc Giraud. Editions Delachaux et Niestlé, 2014.
- Voyage au centre de la bouse de vache, réussir-bovin, vol. 153, 2008, p.127
- www.environnement.swissmilk.ch/issue/matiere-fourragere-digestion/
Tyndale-Biscoe M. 2001. Common dung beetles in pastures of south-eastern Australia. CSIRO PUBLISHING, Melbourne, Australia. 71 pp.
-Tyndale-Bisoce M. 1996. Australia's introduced dung beetles: original releases and distributions. CSIRO Entomology Technical Report. No. 62. 149 pp.
-www.media2.picsearch.com/is1SyuWstWjFmbr8_wJjR7RoOh0y62ai6h1wnjgxyVLG0&height=304
- www.supagro.fr
- http://oatao.univ-toulouse.fr/2016/1/debouch_2016.pdf

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