Quelle CHATastrophe écologique !

1. Quand espèce envahissante et biodiversité ne font pas la paire... 


Aujourd'hui, vous n'êtes pas sans savoir que la biodiversité mondiale se casse la figure à vitesse "grand V", comme je le dis souvent dans ce blog. Saviez-vous que la prolifération d'espèces exotiques envahissantes (EEE) fait partie des principales causes de l'érosion drastique de la biodiversité dans le monde ? C'est ce qu'a divulgué en 2005 un rapport du Millennium Ecosystem Assessment (l’Évaluation des écosystèmes pour le millénaire, pour les plus francophones d'entre vous) dressant, entre autres, un état de santé de la biodiversité mondiale. Recontextualisons tout cela chers amis !
Selon l'INPN (Institut National pour la Protection de la Nature), une EEE est une espèce introduite par l'Homme en-dehors de son aire de distribution.  Elle est caractérisée par une forte capacité d'adaptation et de résistance à tous type de milieux, une importante capacité de reproduction et de multiplication et par l'absence (ou presque) de prédateurs naturels (UICN France, 2015).
L'ensemble des caractéristiques des EEE se révèle donc problématique par les impacts environnementaux qu'elles peuvent générer.

L'Homme est donc le principal vecteur de propagation d'espèces exotiques devenues, pour une part, envahissantes (UICN, 2015) - personnellement, je qualifierai même l'Homme d'espèce envahissante. Ces introductions peuvent être accidentelles ou volontaires.
Parmi les nombreuses espèces portant le statut  "envahissantes" à l'échelle planétaire, le chat domestique représente une réelle menace pour la biodiversité qui l'entoure. Il est d'ailleurs qualifié d'exotique dans les régions du monde où il n'était pas présent originellement. Nous allons donc étudier ensemble dans cet article la place du chat dans les écosystèmes naturels.

2. Le chat, un danger pour la biodiversité 

  • Origine et dispersion du chat domestique

Le chat domestique (Felis silvestris catus) est une sous-espèce issue de la domestication du chat sauvage.
Historiquement, les premières traces archéologiques reflétant une relation entre le félin et l'Homme remontent à 9500 avant Jésus-Christ. Des ossements d'un chat aux côtés de ceux d'un humain ont été retrouvés dans une sépulture à Chypre (Vigne et al. 2004). L'absence de modification du squelette habituellement dues à la domestication laisse penser qu'il s'agit simplement d'un animal apprivoisé. Les premières preuves scientifiques et archéologiques de la domestication du chat par l'Homme proviennent de Quanhucun, un ancien village agricole en Chine. Des analyses réalisées sur des tissus osseux d'humain, de chat et de rongeurs de l'époque, ont révélé une consommation d'aliments à base de millet (Hu et al. 2014). Les céréales sont consommées par les rongeurs, eux-mêmes dévorés par les chats. Seul problème, les tissus osseux des chats analysés proviendraient d'individus d'une espèce dont l'aire de répartition naturelle ne concerne pas la Chine mais... le Proche-Orient ! Il y a anguille sous roches, les amis ! 
Il est fort probable, selon la communauté scientifique, que la domestication du chat soit apparue avec l'émergence de l'agriculture. Le stockage des grains appâtait involontairement de nombreux rongeurs (souris, rats...) qui attiraient, à leur tour, leurs prédateurs naturels desquels faisaient partie les chats ! Les Hommes auraient donc domestiqué ce petit félin dans le but d'éliminer les ravageurs des récoltes.
Au fil des époques, l'animal fut alors utilisé pour tenter d'éliminer les rats et souris vecteurs de maladies dans les cités portuaires ou bien destructeurs de marchandises sur les navires.
Vénéré en Egypte antique, symbole de sorcellerie au Moyen-Age et de fourberie à la Renaissance, le chat est aujourd'hui majoritairement considéré comme un animal de compagnie au comportement bipolaire...

  • Les impacts du chats sur la biodiversité 
 Les caractéristiques faisant du chat une espèce envahissante sont nombreuses : 

- Une capacité d'adaptation phénoménale :
Le chat est capable de s'adapter à un large éventail d'environnements et de climats. Il est présent sur les continents du monde entier hormis l'Antarctique. Il a conquis de très nombreux archipels, même les plus hostiles tels que les îles Kerguelen (Say et al. 2002).

- Une incroyable capacité de multiplication
Une chatte atteint sa maturité sexuelle à 6 mois seulement et peut connaître 2 portées annuelles de 4 à 8 chatons chacune. Après un calcul digne de ce que l'on peut faire dans une école polytechnique, une chatte pourrait être capable de mettre au monde environ 156 chatons dans sa vie*. Astronomique ! 

- Un prédateur redoutable
Le chat, bien que domestique, a conservé des comportements instinctifs naturels. Il est, en effet, assez indépendant et apprécie la chasse pour se divertir, ce qui peut causer quelques dégâts sur la biodiversité...

Le nombre mondial de chats est très difficilement estimable, comptant les individus de compagnie et ceux errants dont la part est inconnue. Le magazine de découverte GEO a présenté une étude de 2004 révélant que le monde comportait 400 millions de chats dont 70 millions aux Etats-Unis d'Amérique ! Je vous l'accorde, les chiffres commencent légèrement à dater mais il ne serait pas étonnant qu'ils soient encore en hausse aujourd'hui.
Bien que l'estimation des effectifs soit complexe, nous avons davantage de connaissances sur les impacts que ces boules de poils peuvent engendrer sur la biodiversité. 

En 2016, la France comptait près de 13,5 millions de chats dont au moins 9 millions auraient un accès à l'extérieur (FACCO & KANTAR-TNS 2016). Les félins deviennent alors de potentiels prédateurs n'hésitant pas à tuer de nombreux petits animaux pour étancher leurs pulsions naturelles, indépendamment de la faim. Les chats domestiques en liberté sont généralistes. Ils s'attaquent à tous types de proies (oiseaux, rongeurs, lézards, serpents, amphibiens, insectes...) à n'importe quelle saison, en milieu urbain ou rural (Krauze-Gryz et al. 2017). Néanmoins, en France, nous n'avons aucune estimation du nombre de proies tuées par les chats.

Un pauvre lézard à deux raies (Lacerta bilineata) vient de se faire trucider par un chat (cmamikfee.canalblog.com/archives/2012/05/15/24268531.html

En revanche, aux Etats-Unis, une étude assez troublante est parue en 2013 sur l'impact des chats domestiques en liberté sur la biodiversité américaine. Les félins tueraient donc entre 1,3 et 4 milliards d'oiseaux par an et entre 6,3 et 22,3 milliards de mammifères par an (Loss et al. 2013). De quoi donner le tournis, n'est-ce pas ? Les chats errants seraient les plus redoutables car posséderaient un domaine vital plus étendu spatialement, augmentant la densité de proies potentielles. Selon les mêmes auteurs, les chats élevés en liberté seraient probablement la plus grande source de mortalité anthropique pour les oiseaux et les mammifères américains. 

Les dégâts causés par les chats domestiques retournés à l'état sauvage sur la biodiversité peuvent être encore plus importants en contexte insulaire. Les îles océaniques abritent effectivement un grand nombre d'espèces endémiques, c'est-à-dire que l'on retrouve nulle part ailleurs (Kier et al. 2009). L'introduction d'espèces exogènes destructrices sur une île peut alors engendrer de lourdes conséquences écologiques. De plus, un écosystème insulaire met plus de temps à retrouver un équilibre naturel qu'un autre écosystème. En l'occurrence, le chat est implanté au sein de nombreux archipels (179 000 îles du monde entier) aux écosystèmes très fragiles où il s'attaque à une grande variété d'espèces indigènes n'ayant aucun moyen de défense efficace. Ce phénomène peut conduire donc au déclin voire à l’extinction des populations d’espèces locales. Une étude en 2011 a montré que sur 120 îles différentes répertoriées, 175 espèces de vertébrés (25 reptiles, 123 oiseaux et 27 mammifères) sont menacées d’extinction par les chats en liberté (Medina et al. 2011). En comparaison avec une autre étude tout aussi affligeante, sur les 179 espèces de vertébrés retrouvées dans les analyses alimentaires de chats, 29 sont inscrites sur la liste rouge des espèces menacées d’extinction de l’UICN (Bonnaud et al. 2011). Pour citer un exemple sur une île française, le chat exerce une forte pression sur les populations de Pétrels de Barau (Pterodroma baraui), un oiseau endémique de l'île de La Réunion ! Une étude en 2009 a montré que le régime alimentaire des chats errants dans le secteur des sites de nidification était constitué à 60% de Pétrels de Barau (Faulquier et al. 2009). Un seul chat pourrait tuer jusqu'à 90 pétrels par saison de reproduction. Imaginez alors que 10 félins rôdent dans un secteur, cela pourrait conduire à l'extinction des colonies de Pétrels.

Pétrel de Barau (Pterodroma baraui) adulte, espèce d'oiseau endémique de la Réunion. Les populations souffrent fortement de la présence des chats errants. Photo réalisée par mon amie Mathilde Huré (Programme LIFE+ Pétrels) que je remercie. 

Excréments de chats retrouvés près d'une colonie de Pétrels en 2019 (photo de Mathilde Huré/LIFE+ Pétrels)

Ainsi, bien que le chat soit l’un des animaux domestiques les plus populaires et appréciés par tous, il est aussi un redoutable prédateur sans pitié. Sa présence constitue tellement un fléau pour la biodiversité locale qu’il est classé parmi les 100 espèces les plus envahissantes du monde (Lowe et al. 2000). Les chats domestiques errants sont les plus dangereux et sont à l’origine de la disparition de 63 espèces de mammifères, reptiles et oiseaux ces 500 dernières années (Doherty et al. 2016). 
Les impacts sont d’autant plus importants lorsqu’ils concernent la biodiversité insulaire. Les chats sur les îles constitueraient la principale menace pour près de 8% des oiseaux, mammifères et reptiles en danger critique d’extinction (Medina et al. 2011).

Il faut donc se rendre à l'évidence, les chats domestiques sont mignons mais n'ont pas leur place dans les écosystèmes naturels. Attention, à travers cet article, je ne blâme pas le chat tout en épargnant l'humain. Il est évident que nous sommes responsables de l'implantation du chat sur tous les continents du monde et donc de ce fléau. Nous devons, dès à présent, assumer cette erreur et diminuer sérieusement cet impact ! Pour cela, une conservation scientifiquement rationnelle et une intervention politique seraient nécessaires.

A petite échelle, des gestes simples pour réduire ces impacts existent. L'un des moyens les plus efficaces est la stérilisation de votre animal. Cela permet de ralentir la prolifération d'individus exerçant une forte pression sur l'environnement naturel. 
De plus, il est préférable de faire sortir le chat dans son jardin en pleine journée. En effet, les chats développent un comportement de chasseur plus important la nuit.
A plus large échelle, il existe aussi des solutions. Par exemple, en Australie (dont la faune unique au monde est aussi très affectée par la présence du chat), des campagnes de sensibilisation sur l’effet néfaste du chat sur la biodiversité australienne sont organisées. La revue Australian geographic a publié un article permettant aux propriétaires de chats de connaître les bonnes méthodes à appliquer pour limiter l’impact de leur animal sur la nature environnante (Staff 2018). 

Enfin, le gouvernement australien a décidé d’abattre 2 millions de chats sur son territoire pour tenter de ralentir le massacre de la biodiversité (Aguirre 2019). Cette décision fractionne visiblement les opinions. Certains pourront penser que c’est une solution peu éthique et que l’Homme doit assumer son erreur d’avoir introduit ce petit félin en Australie. D’autres personnes considèrent qu’il est plus juste et légitime d’anéantir une poignée d’individus d’une même espèce si commune pour sauvegarder des centaines d’espèces endémiques en danger d’extinction. Et vous, qu’en pensez-vous ?
Chat ayant tué un phascogale, un marsupial australien quasi-menacé selon l'UICN (www.notre-planete.info/actualites/4360-Australie-millions-chats-sauvages). 

Cet article est à présent terminé, j'espère qu'il vous aura plu ! Je vous remercie de votre visite, à bientôt sur l'Odyssée Terrestre !

Légende :
*calcul effectué pour une chatte d'une durée de vie moyenne de 13 ans donnant naissance à 6 chatons par portée (2 portées/an). 
Sources :

AGUIRRE, J. 2019. Australia is deadly serious about killing millions of cats. The New York Times Magazine.

BONNAUD, E., MEDINA, F. M., VIDAL, E., NOGALES, M., TERSHY, B., ZAVALETA, E., ... & HORWATH, S. V. (2011). The diet of feral cats on islands : a review and a call for more studies. Biological Invasions, 13(3), 581-603.

DOHERTY, T. S., GLEN, A. S., NIMMO, D. G., RITCHIE, E. G., & DICKMAN, C. R. (2016). Invasive predators and global biodiversity loss. Proceedings of the National Academy of Sciences, 113(40), 11261-11265.

FAULQUIER, L., FONTAINE, R., VIDAL, E., SALAMOLARD, M. & LE CORRE, M. 2009. Feral cats Felis catus threaten the endangered endemic Barau's Petrel Pterodroma baraui at Reunion Island (Western Oocean). The Waterbird Society. Vol. 32, n°2 : p. 330-336.

Fédération des fabricants d’aliments pour chiens, chats, oiseaux et autres animaux familiers & KANTAR-TNS, 2016. Enquête FACCO & KANTAR-TNS.

HU, Y., HU, S., WANG, W., WU, X., MARSHALL, F. B., CHEN, X., ... & WANG, C., 2014. Earliest evidence for commensal processes of cat domestication. Proceedings of the National Academy of Sciences, 111(1), 116-120.

KIER, G., KREFT, H., LEE, T. M., JETZ, W., IBISCH, P. L., NOWICKI, C., ... & BARTHLOTT, W. 2009. A global assessment of endemism and species richness across island and mainland regions. Proceedings of the National Academy of Sciences, 106(23), 9322-9327.

KRAUZE-GRYZ, D., ŻMIHORSKI, M., & GRYZ, J. 2017. Annual variation in prey composition of domestic cats in rural and urban environment. Urban ecosystems, 20(4), 945-952.

LOSS, S. R., WILL, T., & MARRA, P. 2013. The impact of free-ranging domestic cats on wildlife of the United States. Nature communications, 4, 1396.

LOWE, S., BROWNE, M., BOUDJELAS, S., DE POORTER, M. 2000. 100 of the World’s Worst Invasive Alien Species : A Selection from the Global Invasive Species Database. Invasive Species Specialist Group.

MEDINA, F. M., BONNAUD, E., VIDAL, E., TERSHY, B. R., ZAVALETA, E. S., JOSH DONLAN, C., ... & NOGALES, M. (2011). A global review of the impacts of invasive cats on island endangered vertebrates. Global Change Biology, 17(11), 3503-3510.

MILLENNIUM ECOSYSTEM ASSESSMENT, 2005. Ecosystems and Human Well-being: Synthesis. Island Press, Washington, DC.

SAY, L., GAILLARD, J. M., & PONTIER, D. 2002. Spatio-temporal variation in cat population density in a sub-Antarctic environment. Polar Biology, 25(2), 90-95.7

STAFF, A. G. 2018. How you can protect native wildlife from your pet cat. Australian geographic.
UICN FRANCE, 2015. Les espèces exotiques envahissantes sur les sites d’entreprises. Livret 1 : Connaissances et recommandations générales, Paris, France, 40 p.

VIGNE, J.-D., GUILAINE, J., DEBUE, K., HAYE, L. & GERARD, P., 2004. Early taming of the cat in Cyprus. Sciences. Vol. 304, n°5668 : 259 p. 

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