Dans la peau pustuleuse du Crapaud calamite

Même si le Printemps n'a pas officiellement commencé, ses premiers signes biologiques se manifestent. Le matin, les reptiles tout juste sortis d'hibernation se réchauffent sous les rayons de soleil. Les premiers papillons visitent les fleurs encore recouvertes par la rosée matinale, les oiseaux commencent à gazouiller d'un arbre à l'autre. Le soir tombé, les chauves-souris repartent à la chasse aux insectes et les amphibiens entament leurs concerts crépusculaires.
Peu discrets, ces batraciens ! Le moindre point d'eau ne peut pas passer inaperçu dans l'ombre de la nuit tellement ces animaux s'en donnent à cœur joie. Chez certaines espèces, ces chants en chœurs peuvent être entendus à plus de deux kilomètres à la ronde ! C'est le cas du Crapaud calamite (Epidalea calamita) auquel nous allons parler dans ce petit article. 

Avant toute chose, j'aimerais détruire quelques idées reçues orbitant autour du fabuleux monde des crapauds.
1) Le Crapaud n'est pas le mâle de la grenouille (tout comme la chouette n'est pas la femelle du hibou). Crapaud et grenouille sont deux termes n'ayant aucun fondement scientifique. Ils désignent plusieurs espèces appartenant à des genres et familles différents ! De manière générale, les crapauds ont la peau rugueuse, de courtes pattes arrières et d'importantes réserves de graisses.  A l'inverse, les grenouilles ont une peau lisse, des pattes arrières musclées et n'ont pas de grandes réserves adipeuses. 
2) Le Crapaud ne vit pas dans l'eau toute sa vie. Le crapaud se rend aux points d'eau exclusivement pour la reproduction (accouplement et ponte). Le reste de son cycle de vie s'effectue en milieu terrestre. 
3) Enfin, mesdames, je suis désolé de vous décevoir de la sorte mais évitez d'embrasser un crapaud en pensant qu'il se transformera en prince charmant. Le crapaud parfait n'existe pas. 

Après cela, on se sent mieux, n'est-ce pas ? Nous pouvons commencer. 
En France, nous comptons seulement 4 espèces de crapauds appartenant à la famille des Bufonidae :
- le Crapaud commun (Bufo bufo) dans la partie Nord grosso-modo ;
- le Crapaud épineux (Bufo spinosus) dans la partie Sud grosso-merdo ;
- le Crapaud vert (Bufotes viridis) en Corse et au Nord-Est ; 
- le Crapaud calamite (Epidalea calamita)
  • Comment reconnaître le Crapaud calamite ? 
Le Crapaud calamite est assez reconnaissable. Il est plus petit que le Crapaud commun ou le Crapaud épineux. De couleur variable (brunâtre, verdâtre, grisâtre), il présente souvent une ligne claire médiane le long du dos, le distinguant des autres espèces, au premier coup d’œil. Son œil est jaune vif veiné de noir. Ses glandes parotoïdes, au niveau de l'épaule, sont proéminentes, courtes et ovales. Elles lui permettent de sécréter une substance toxique pour ses proies et prédateurs (Couleuvre vipérine, Couleuvre à collier, rapaces nocturnes...). Enfin, certains de ses pustules peuvent avoir une couleur rouge.

Crapaud calamite (Epidalea calamita). Son bel œil est jaune vif, veiné de noir.

  • Où le retrouver ? 
En Europe, le Crapaud calamite est présent dans bon nombre de pays, notamment à l'Ouest et au Nord du continent (en-dehors de la Scandinavie).
En France, il est présent quasiment dans toutes les régions hormis la Corse et l'extrême Est de la région PACA. Il est tout de même plus abondant dans le Sud de l'Hexagone et a tendance à se raréfier plus au Nord. 
  • Quel est son mode de vie ? 
Comme la plupart des crapauds, le Crapaud calamite effectue partiellement son cycle de vie dans l'eau. A l'état adulte, il se reproduit dans les plans d'eau temporaires (fossés, flaques, mares non permanentes...). Au crépuscule, à la fin d'une journée chaude, les mâles se rassemblent et chantent en chœur pour attirer les femelles. Leurs sacs vocaux leur permettent d'amplifier le son. Voici une courte vidéo mettant en avant un mâle chantant.
Une fois le "couple" formé, le mâle s'agrippe à la femelle et lui enfonce ses points fermés sous les aisselles. On appelle cette technique d'accouplement propre aux amphibiens l'amplexus. La ponte peut commencer.
Cordons d’œufs de Crapaud calamite.  La femelle
peut pondre entre 1500 et 7500 œufs (Source : DORIS). 

La femelle libère des cordons d’ovocytes au fond du plan d'eau, soigneusement recouverts par la semence du mâle. A la suite de cela, les deux individus se séparent et quittent le point d'eau. Les têtards émergeront quelques jours plus tard. La métamorphose des larves en adultes est assez rapide, seulement 6 à 8 semaines ! Cela peut s'expliquer par le caractère temporaire des points d'eau (sablières, flaques...) pouvant à tout moment s'assécher et causer la mort des œufs ou des têtards. Au cours de ce développement, la queue disparaît, les branchies laissent place aux poumons... bref, c'est la transition d'un mode de vie aquatique vers un mode de vie terrestre.
Les jeunes abandonnent alors leur point d'eau natal pour se disperser dans un rayon de plusieurs centaines de mètres autour de celui-ci. Ils atteindront leur maturité sexuelle autour de 3 ou 4 ans.

Reproduction de Crapauds Calamites (Amplexus) 

En-dehors de la période de reproduction, lors de la belle saison, le Crapaud calamite creuse un abri dans la terre meuble, sous une roche ou une souche pour y passer la journée. La nuit tombée, il sort de sa cachette pour aller chasser les invertébrés dont il raffole : escargots, limaces, lombrics, insectes... C'est une espèce assez généraliste.
A la venue de l'automne, comme tous les batraciens en climat tempéré, le Crapaud calamite entre en hibernation. Il occupe un abri terrestre (terrier) pour lequel il prend soin de boucher l'entrée pour se protéger du froid. En Mars, lorsque les journées se réchauffent, la vie peut reprendre son cours.

Aussi étonnant soit-il, le Crapaud calamite est l'une des espèces d'amphibiens capable de courir, ses courtes pattes arrières l'empêchant d'effectuer des sauts réussis. Lorsqu'il se retrouve face à un prédateur, il se dresse sur ses pattes et se gonfle pour paraître plus impressionnant et faire fuir son ennemi. Il lui arrive également de produire une odeur assez répulsive.


  • Quelles menaces pèsent sur les populations ?  
De nombreuses activités humaines menacent les populations de Crapaud calamite.

Déjà, l'utilisation accrue d'intrants agricoles dégrade les habitats et la qualité de vie des individus. Il a été montré que les larves exposées à des concentrations en nitrates très importantes ont un faible taux de survie (Garcia-Muñoz et al. 2011). Les larves sont plus petites et plus sensibles à la perturbation de leurs habitats comparé à des individus vivant dans des milieux sains.

La fragmentation des habitats et le trafic routier constituent également une menace pour les populations. Comme je l'ai précisé dans l'un des paragraphes précédents, les crapauds sont des animaux très mobiles, notamment en période de reproduction. Il faut savoir que la structure du paysage influence fortement la dispersion des individus d'un point A à un point B. Dans une étude, des chercheurs ont montré que l'urbanisation et la hauteur de la végétation peuvent sérieusement impacter négativement la connectivité entre populations (Cox et al. 2017). Imaginez. Lors de l'année 1, les individus peuvent se déplacer librement depuis leur zone d'hivernage jusqu'à une mare où ils peuvent s'y reproduire. Pendant l'hiver précédent l'année 2, une route est construite entravant le chemin des amphibiens "zone d'hivernage - mare". S'il n'y a aucun milieu de report autour de la zone impactée par la route, le nombre d'individus accédant à la mare va considérablement diminuer lors des années 2, 3, 4 etc.. jusqu'à conduire à l'isolement et à l'extinction d'une population. La structure du paysage a été modifiée par l'installation de la route, apparaissant comme un obstacle au flux des individus et de leurs gènes.
La fermeture des milieux, causée par le reboisement de certaines parcelles, peut aussi entraver la migration annuelle des crapauds calamites.

Enfin, à titre d'information, le développement de maladies peut causer de gros dégâts dans les communautés d'amphibiens. Notamment, la chytridiomycose : une maladie infectieuse fatale n'affectant pas seulement le Crapaud calamite mais  des centaines d'espèces d'amphibiens à travers le monde (Fisher et al. 2009). Cette maladie est provoquée par un champignon chytridiomycète, Batrachochytrium dendrobatidis. Elle peut très bien être véhiculée par les naturalistes se baladant d'une mare à l'autre en les contaminant involontairement.
Heureusement, il existe des solutions pour enrayer ce phénomène. L'Agence de l'eau Rhône-Méditerranée-Corse a élaboré un protocole d'hygiène pour le contrôle des maladies des amphibiens dans la nature à destination des opérateurs de terrain (Miaud 2014). Entre autres, elle préconise l'utilisation du Virkon mélangé à de l'eau pour éliminer les chytrides et les ranavirus. A la fin d'une opération sur le terrain, on conseille aux opérateurs d'utiliser cette solution pour désinfecter leur matériel (bottes, wadders, épuisette...).



  • Quelles mesures de protection existe-t-il en faveur du Crapaud calamite ?  
En France, l'espèce figure sur la liste des amphibiens et des reptiles protégés sur l'ensemble du territoire français et les modalités de leur protection (Article 2 de l'arrêté du 19 novembre 2007).
Le Crapaud calamite est aussi mentionné dans l'annexe IV de la directive européenne Habitats-Faune-Flore.

Des mesures de protection sont mises en place dans certaines régions où les populations de Crapaud calamite sont en déclin. Cette espèce affectionnant les milieux pionniers et anthropiques, il est naturel de sensibiliser les propriétaires et les gestionnaires de sites qui leur sont favorables. C'est le rôle occupé par de nombreuses associations naturalistes et parcs naturels régionaux en lien direct avec les propriétaires fonciers.
Il existe aussi des mesures de protection plus concrètes. Par exemple, en Wallonie en Belgique, des sites favorables à cette espèce d'amphibien sont restaurés. Dans les sites en voie de boisement, des coupes de ligneux sont entreprises dans une perspective de restauration des corridors de migration et de dispersion des crapauds. Les résidus des déboisements peuvent être utilisés pour la création d'abris.  Enfin, des suivis écologiques sont mis en places sur les sites gérés et restaurés pour évaluer l'efficacité des mesures et les effectifs de crapauds.

Enfin, dans un cadre réglementaire, le Crapaud calamite et son habitat sont davantage pris en compte dans les projets d'urbanisation. Il constitue un enjeu écologique à ne pas négliger. En cas de destruction d'individus, des mesures de compensation de l'impact sont préconisées pour tenter de restaurer et gérer d'autres sites favorables à cette espèce. A voir dans les années futures si les impacts des projets d’urbanisation sont réellement compensés, dans le cadre de la loi de la protection de la biodiversité de 2016... 

Voilà, j'espère que vous avez pris du plaisir à lire cet article ! Merci à vous et à bientôt sur l'Odyssée Terrestre !

Sources :

- Cox, K., Maes, J., Van Calster, H., & Mergeay, J. (2017). Effect of the landscape matrix on gene flow in a coastal amphibian metapopulation. Conservation genetics, 18(6), 1359-1375.

- Duguet R. et Melki F. (ed.) 2003. Les Amphibiens de France, Bbelgique et Luxembourg, éditions Biotope. 480p.

- Fisher, M. C., Garner, T. W., & Walker, S. F. (2009). Global emergence of Batrachochytrium dendrobatidis and amphibian chytridiomycosis in space, time, and host. Annual review of microbiology, 63, 291-310.

- García-Muñoz, E., Guerrero, F., & Parra, G. (2011). Effects of previous sublethal pulse to ammonium nitrate on mortality and total length on Epidalea calamita larvae. Chemosphere, 84(5), 671-675.

- Miaud C., 2014. Protocole d'hygiène pour le contrôle des maladies des amphibiens dans la nature à destination des opérateurs de terrain. Agence de l'eau Rhône-Méditerranée-Corse,  Université de Savoie et Ecole Pratique des Hautes Etudes (eds), 7p.

- Weldon, C., Du Preez, L. H., Hyatt, A. D., Muller, R., & Speare, R. (2004). Origin of the amphibian chytrid fungus. Emerging infectious diseases, 10(12), 2100.

- doris.ffessm.fr/Especes/Epidalea-calamita-Crapaud-calamite-3341

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